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Quand « Jeune Afrique » consacre un grand article au Raja de Casablanca, « le club du peuple » !

Notre confrère, le Magazine international d’information « Jeune Afrique » a publié aujourd’hui un grand article, de plusieurs pages, signé par la journaliste d’investigation Rym Bousmid, consacré entièrement au club légendaire du Raja de Casablanca et intitulé : « AU MAROC, LE RAJA DE CASABLANCA, LE CLUB DU PEUPLE » . Le média Le7tv est fier de publier intégralement ce travail journalistique, hors norme, pour ses lecteurs :

Fondé par des nationalistes dans le quartier populaire de Derb Sultan, le club des Verts s’est toujours présenté comme un fier représentant de la jeunesse ouvrière bidaouie. Première équipe du pays par le nombre de supporteurs, le Raja peine aujourd’hui à se dépêtrer de la crise financière qu’il traverse.

POUVOIR ET BALLON ROND, QUAND LE FOOTBALL S’INVITE EN POLITIQUE 

« Tous les clubs ont des supporters sauf le Raja, il a un peuple », a affirmé un jour l’Argentin Oscar Fullone, qui a entraîné le Raja entre 1998 et 2000 puis entre 2005 et 2006. Cette proximité avec son public de passionnés, principalement issu des quartiers populaires de la capitale économique, a toujours été revendiquée, même portée en étendard par le club casablancais dont la genèse est profondément politique.

« Dès le début, le Raja s’est appuyé sur des prolétaires, des artisans, des artistes, des syndicalistes et des avocats issus des quartiers populaires, qui ont eu la chance de fréquenter les écoles modernes. Ayant baigné dans le nationalisme, ils ont aussi gardé des liens avec la population », précise le sociologue du sport, Abderrahim Bourkia, auteur d’une étude sur la violence dans les stades « Des ultras dans la ville. Militants nationalistes et syndicalistes », Car l’histoire du « Raja mondial » – surnommé ainsi pour être le seul club arabe et africain à atteindre la Coupe du monde des clubs en 2000 au Brésil, puis en 2013 jusqu’en finale –, est intimement liée à la résistance contre l’occupant français, et plus tard dans les années 1960 à l’histoire du mouvement syndical marocain.

Plusieurs de ses fondateurs ont appartenu à ces milieux. Les plus connus étant Mahjoub Ben Seddik, patron historique de l’Union marocaine du travail (UMT), et Mohamed Maâti Bouabid, futur premier ministre et ministre de la justice

À l’origine du club le plus populaire du Maroc, un réseau de nationalistes qui, vers la fin des années 1940, cherche à créer un club réunissant les joueurs les plus talentueux des équipes de football amateur du quartier populaire de Derb Sultan (notamment Al-Fath de Derb Kabir et A Nassr de Derb Bouchentouf).

Des mois durant, ceux-ci établissent leur QG au café Al Watan du même quartier, appartenant à un certain Hamidou El Watani. Liste non exhaustive des fondateurs et premiers dirigeants du club : les futurs présidents du club Boujemaâ Kadri et Laâchfoubi El Bouazzaoui, le futur entraîneur Tibari, le syndicaliste Salah Medkouri, ainsi que les frères joueurs-entraîneurs Mohamed et Abdellah Naoui. Déjouer les lois coloniales

Selon certaines sources, une première demande déposée aux autorités coloniales associée sous le nom Al Fath-Al Bidaoui est rejetée. D’une part à cause de la proximité avec le Fath Union Sport de Rabat. Mais surtout parce qu’elle n’aurait pas été conforme aux critères imposés par les autorités françaises, qui voulaient réguler la création des clubs sportifs : avoir obligatoirement sur sa liste au moins deux joueurs ou dirigeants du club de nationalité française.

Selon Boujemaâ Kadri, un tirage au sort aurait été organisé pour choisir le nom du club. Quatre options sont alors proposées en plus du « Raja » : « Al Fath », du nom de la théâtre de Derb Sultan dont les membres seraient à l’origine de la formation du club amateur, mais aussi « Al Charaf », « Abdelmoumen » et « Al Atlas ».

Finalement, c’est le Raja, tiré au sort pas moins de trois fois, qui est adopté. Dans un même temps, il est également décidé que le symbole du club serait l’aigle, pour le prestige et la pugnacité qu’il inspire. Et le vert de l’islam, comme couleur principale.

Pour déjouer la loi française, Hajji Ben Abadji, un algérien de nationalité française né à Tlemcen devient le premier président du Raja pour si mois. Il reste à ce jour le seul président non marocain de l’histoire du club. Parallèlement, un marocain, Moulay Sassi Aboudarka Alaoui est désigné président d’honneur du club jusqu’en 1955. L’année de sa création, le Raja débute dans la division d’honneur avec une équipe composée uniquement de footballeurs marocains. Ils atteignent la première division deux ans plus tard. Wydad, le frère ennemi

Les origines militantes et revendicatrices du Raja ont donc naturellement façonné l’imaginaire de son public, qui se voit « comme un digne représentant de la classe ouvrière opprimée », selon Abderrahim Bourkia. Une identité qui s’est également construite en opposition avec celle de la deuxième équipe de Casablanca, une des plus importantes du pays : le Wydad, né lui au sein de l’ancienne médina de la ville blanche, quartier légèrement plus favorisé à l’époque.

Ce club arborant lui, la couleur rouge, a même eu pour le roi Hassan II – alors prince hériter – pour deuxième président d’honneur. Les deux équipes s’affronte lors de l’un des derbies les plus spectaculaires – et parfois les plus violents – au monde.

Dans leur ouvrage Casablanca. Figures et scènes métropolitaines, les chercheurs Mohamed Tozy et Michel Peraldi expliquent que par opposition au Raja, aux yeux des casablancais, le Wydad « symbolise l’establishment, le jeu académique, l’expression d’un nationalisme conservateur et la sollicitude du Makhzen ».

LE RAJA ESSAIE D’INCARNER CET ESPRIT DE RÉVOLTE QUI COLLE À LA VILLE, ARBORE SON FANION D’ÉQUIPE  AU JEU DÉBRIDÉ, CAPABLE DU MEILLEUR COMME DU PIRE

En face, les Verts se présentent comme les indignés voire des dissidents, issus d’un bastion du nationalisme populaire. Ainsi, le club de l’aigle vert « essaie d’incarner cet esprit de révolte qui colle à la ville, arbore son fanion d’équipe au jeu débridé, non académique, créatif, capable du meilleur comme du pire. Il draine le public de Derb Sultan indiscipliné mais joyeux », analysent les chercheurs.

Du Raja naît inévitablement en 2005 le premier groupe d’ultras du Maroc, les Green boys. L’année suivante, ils sont rejoints par un deuxième groupe d’ultras : les Ultras Eagles.

Père Jégo, le saint-père :
Ce style de jeu plus plaisant visuellement et qui attire les masses, allie passes courtes et rapides (le tiki-taka), petits ponts, une-deux, et les exploits individuels de « joueurs-artistes ». Il vaudra au club le nom de Raja l’Fraja, soit « Raja, le spectacle », en darija. Celui qui l’y initie, n’est autre que l’illustre Mohamed Ben Lahcen Affani, surnommé Père Jégo, pour sa ressemblance physique avec un footballeur français des années 1920. Une façon de jouer inspiré de multiples voyages au Brésil. C’est ce même Père Jégo, qui serait à l’origine du jeu « plus européen », « plus technique » du Wydad jusque-là imbattable.

Figure majeure du football casaoui, ce fondateur et mécène du club des rouges, a également été leur premier secrétaire général, avant d’êtr mystérieusement congédié. Il sera par la suite sollicité par une délégation du Raja pour reprendre l’équipe des verts. Aujourd’hui, son nom es connu de tous les rajaouis, qui le considèrent comme une sorte de père spirituel. C’est d’abords lui qui leur a permis de s’imposer dans la championnat national et de s’affirmer tactiquement. Il fait d’ailleurs l’objet de plusieurs chansons et tifos de supporters. Son crédo : « Je veux guider un club qui partagera l’air de Casablanca avec le Wydad. » L’histoire de cette rivalité était cousue de fil blanc.

Le « club du peuple » ?
« Les supporters du Raja exaltent souvent le mérite de la vie populaire, “à la dur” toujours proche de la masse, ce que l’on trouve moins chez les supporters du Wydad, qui eux se présentent souvent comme “des gens biens” », confirme Abderrahim Bourkia. En réalité, les résultats de enquêtes du sociologue nuanceraient cette lecture superficielle. « Les supporters font un tri pour trouver les éléments qui les arrangent, qui peuvent éclairer leur antagonisme, leurs représentations », clarifie-t-il.

D’après lui, aujourd’hui, les rajaouis et les wydadis sont souvent issus des mêmes milieux socio-économiques, ce sont en majorité « des jeunes urbains (entre 13 et 27 ans), issus de quartiers populaires, et de familles plus ou moins modestes ». Même s’il admet que les origines du Raja et les messages chargés politiquement diffusés par ses ultras, peuvent justifier une certaine diversité et un engagement politique plus ou moins assumé de ses supporters.

En effet, depuis quelques années, dans les tribunes du Raja résonnent des chants contestataires et flottent des tifos dénonçant les inégalités sociales, le mépris ou la corruption. Comme dans les paroles des chants désormais mondialement célèbres F’bladi delmouni (« Opprimé dans mon pays ») et Rajawi Filistini (« Rajaoui palestinien »), en soutien au peuple palestinien, ou encore sur le bandeau « Vox Populi » du derby de la saison 2008/2009, ou sur le tifo « Room 101 » en référence au roman 1984 de George Orwell, brandi en 2019.

Le public, trésor ou épine au pied ?
Cette posture d’insoumission face à toutes les formes d’autorité est également dirigée parfois vers les dirigeants du club eux-mêmes, renforcé par leur « embourgeoisement » parfois perçu comme une trahison à l’héritage prolétaire du club. Une façon aussi pour le public rajaoui de manifester sa pleine indépendance : « Les supporters font souvent l’objet de manipulations et d’instrumentalisation par certains membres d comité des clubs ou par le président », éclaire à ce propos le sociologue Abderrahim Bourkia.

JE VEUX GUIDER UN CLUB DE FOOT QUI PARTAGERA L’AIR DE CASABLANCA AVEC LE WYDAD
PENDANT LA SAISON 2022/2023, ENVIRON 43 000 SUPPORTERS PAR MATCH ONT ASSISTÉ AUX  RENCONTRES DU RAJA, ET 17 000 CARTES D’ADHÉRENT ONT ÉTÉ VENDUES

De son côté, le nouveau vice-président du club, Adil Hala, nommé par Mohamed Boudrika, lui-même fraîchement élu président en mai dernier –préalablement à la tête du Raja entre 2012 et 2016 –, se dit reconnaissant de « la richesse » que représentent « la forte identité footballistique du club », « la passion du public rajaoui » et « sa créativité ». Selon les chiffres de la saison 2022/2023, environ 43 000 supporters par match ont assisté aux rencontres du Raja, et 17 000 cartes d’adhérent ont été vendues. Des records nationaux.

Adil Hala, qui a été affecté au poste de responsable de la restructuration globale – le club devant essuyer un déficit de 100 millions de dirhams –, estime toutefois que les fortes pressions de ce public « qui veut être impliqué dans toutes les décisions managériales » (revendications, exigences au recrutement de joueurs chers…) ont pu parfois nuire à la gestion du Raja.

Il se refuse dans le même temps à critiquer « la minorité » d’ultras rajaouis violents qui ont pu faire condamner le club à des amendes mirobolantes : 100 000 dollars pour les actes de vandalisme du match Raja-Ahly en avril dernier. « C’est un phénomène social subjectif et marginal. Notre base supportrice représente aujourd’hui le principal capital du Raja », assure-t-il.

La rédaction /Le7tv (avec JEUNE AFRIQUE. Par Rym Bousmid)

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