L’écrivain Kamel Daoud, le plus virulent opposant du régime Algérien, reçoit le Prix Goncourt 2024 

L’écrivain Kamel Daoud, le plus virulent opposant du régime Algérien, a reçu le Prix Goncourt 2024 pour son roman « Houris », un ouvrage sous forme de voyage introspectif à travers l’Algérie. On suit « Aube », devenue muette à 5 ans après avoir eu les cordes vocales lacérées suite à une tentative d’égorgement, « au nom de Dieu », pendant la Guerre Civile algérienne.

La « décennie noire » (1992-2002) durant laquelle divers groupes islamistes s’opposèrent à l’armée nationale – le bilan oscille entre 60.000 et 200.000 morts et des milliers de disparus. Aube revient sur les lieux du crime, dans le nord du pays, où sa sœur a été violée, puis assassinée. Dans un monologue hanté, elle s’adresse à sa fille, encore dans son ventre. Veut-elle avorter ou non ? Elle hésite encore, ou fait semblant d’hésiter : elle le sait, dans cette Algérie patriarcale, la condition de femme est une malédiction. « Je t’évite de naître pour t’éviter de mourir à chaque instant. Car dans ce pays, on nous aime muettes et nues pour le plaisir des hommes en rut. »

À Oran, Aube a tenu un salon de coiffure, juste en face de la mosquée. Chez elle, les femmes venaient se faire belles, rire, surtout lors de la grande prière du vendredi, quand elles pouvaient échapper au jugement des hommes et pouvoir s’occuper d’autres choses que de leur intérieur ou de la cuisine.

Alors bien sûr, on ne peut pas enlever à Houris d’être un grand roman féministe, courageux, sans doute nécessaire. Dans la mesure où Kamel Daoud tente de briser cette amnésie collective et volontaire, puisqu’il est interdit de parler de la Guerre civile en Algérie, selon un article de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Peine d’emprisonnement pour quiconque oserait utiliser ou instrumentaliser « les blessures de la tragédie nationale ».

Et qui de mieux pour en parler ? Daoud a vécu au plus près cette période noire. En 1994, à 24 ans, il entre au Quotidien d’Oran. Ses collègues et lui sont chargés d’assurer « une couverture sécuritaire » des événements. Le traumatisme d’Aube est certainement un peu celui de Daoud.

Il y a deux semaines, Tahar Ben Jelloun, ami de l’écrivain et membre de l’académie Goncourt, donnait quelques indices sur les raisons qui pousseraient les jurés du plus prestigieux prix français à récompenser Houris. « Si, effectivement, Kamel Daoud a le prix, ça serait une explosion, déclarait Tahar Ben Jelloun au micro de France Inter. Dans la mesure que tout ce que l’Algérie, enfin les généraux, voulaient cacher pour la guerre civile, parce que c’est interdit de parler de cette guerre civile, va être connu du monde entier et par les traductions dans le monde entier. 

On imagine les répercussions que peut avoir un tel prix pour Kamel Daoud. Figure connue dans son pays, poil à gratter des islamistes, il a depuis quelques années senti l’étau se resserrer et même dû fuir sa ville natale d’Oran. Il s’est depuis installé en France, pays dont il a obtenu la nationalité en 2020. Il le sait, son livre, non publié en Algérie, et maintenant son Goncourt, le place dans une situation encore plus périlleuse. Son éditeur, Gallimard, a d’ailleurs été prié de ne pas se rendre au Salon international du livre d’Alger, dont la 27e édition se déroule du 6 au 16 novembre.

Abderrazzak Boussaid/Le7tv