« Pourquoi les bâtiments se sont-ils écroulés comme un château de cartes ? » C’est la question qui taraude les familles endeuillées après le dramatique séisme en Turquie et en Syrie dont le bilan a dépassé les 36.000 morts . Pour certains ingénieurs et architectes, le coupable est tout trouvé : ce sont les promoteurs immobiliers qui n’ont pas respecté les lois de construction antisismiques de la région.
« C’est le problème du tout béton en Turquie. C’est un matériau bien trop lourd qui, en cas de séisme, provoque énormément de dégâts. Tous les pays très sismiques, comme le Japon et la Californie, dispose d’une architecture légère et en bois » avance Cyrille Hanappe, architecte et ingénieur à l’ENSA Paris. Pour lui, dans un pays où les promoteurs cherchent la rentabilité, la construction en béton est la meilleure option ; avec tous les risques que cela comporte.
Mais d’autres experts des risques sismiques pensent que le secteur du bâtiment n’est pas le seul responsable de l’écroulement des bâtiments et que d’autres facteurs, notamment liés au type de séisme doivent aussi être pris en compte.
Chasse et fuite des promoteurs
Depuis vendredi, une vraie traque aux maîtres d’ouvrage véreux a été lancée en Turquie. Dimanche, trois personnes ont été écrouées, sept interpellées dont deux autres promoteurs qui tentaient de s’échapper en Géorgie, et 114 sont toujours recherchés, a annoncé le ministre turc de la Justice, Bekir Bozdag.
La photo de Mehmet Yasar Coskun, promoteur arrêté alors qu’il tentait de fuir à l’aéroport d’Istanbul a fait le tour des réseaux sociaux turcs. C’est lui qui a conçu la résidence « Rönesans » (Renaissance) à Antakya, dans le sud de la Turquie, il y a 10 ans. Le 6 février, l’immeuble de huit étages et 250 appartements avec piscine a basculé sur le flanc et sur ses habitants.
Mehmet Yasar Coskun, comme des centaines d’autres promoteurs, sont jugés responsables de l’effondrement de milliers bâtiments pour ne pas avoir respecté les normes sismiques en vigueur en Turquie. Ces standards ont été adoptés après le séisme d’Izmit en 1999 qui avait fait 17 000 morts. Révisés pour la dernière fois en 2018, ils sont calqués sur ceux appliqués en Californie, terre de séismes.
Pierres, sable et « effondrement en crêpes »
Pour les bâtiments construits avant 1999, où aucune norme n’était encore en vigueur, difficile d’accuser uniquement le secteur du bâtiment. « La Turquie suit des codes sismiques en théorie avec un niveau élevé, mais il y a un parc existant qui date d’avant ces codes, et cela prend du temps de renouveler tout le tissu urbain », a expliqué Boris Weliachew, un architecte spécialiste des risques majeurs.
Problème, cependant, cet expert assure que beaucoup de nouvelles constructions, érigées avec des matériaux bas de gamme, ne sont guère plus solides. Sur le terrain, des experts des risques sismiques ont d’ailleurs découvert des constructions récentes extrêmement fragiles : « Nous avons creusé sur un mètre, et après les pierres, il n’y avait que du sable », a rapporté un des ingénieurs dépêchés à Antakya pour déblayer les décombres.
« Ici on observe un effondrement en crêpes avec des étages qui s’empilent les uns sur les autres » laissant très peu de chances de survie aux occupants, a observé Mustafa Erdik, président de la Turkish Earthquake Foundation. Un phénomène provoqué principalement à cause de la mauvaise qualité du béton et de la finesse des tiges d’aciers trop frêles pour tenir les colonnes.
Mais des bâtisses réellement construites selon les normes auraient-elles vraiment résisté à un séisme d’une magnitude 8 sur l’échelle de Richter ? Sur ce point, les ingénieurs ne sont pas toujours d’accord et tous n’accablent pas les maîtres d’ouvrage.
« Grade IX » et « Glissement de grève »
« Il ne faut pas oublier qu’un séisme de 8 de magnitude, c’est carrément énorme », a tenu à rappeler l’architecte Patrick Colombel ce lundi. Une conjonction de facteurs liés à la typologie au séisme a en effet accéléré l’écroulement des bâtiments. Comme le souligne le géophysicien chilien Cristian Farias, l’intensité des secousses, calculée sur « l’échelle sismologique de Mercalli », a joué un rôle prépondérant. Le 6 février de nombreuses villes de Turquie ont enregistré une intensité « IX » (sur douze degrés), considérée comme « très destructrice » et impliquant, par exemple, une destruction sévère des bâtiments.
En outre, un second tremblement de terre puissant (magnitude 7,5) a été ressenti à quelques heures du premier, augmentant l’état de fragilité des bâtiments. Le séisme était aussi très peu profond, à seulement 18 kilomètres de la croûte terrestre, ce qui a provoqué des vibrations extrêmement intenses au sol que les infrastructures n’étaient pas prêtes à supporter.
Le type et la taille de la faille, appelée « glissement de grève », longue de 150 kilomètres sur 25 kilomètres d’épaisseur, ont aussi été un autre facteur accentuant la destruction. « La faille était très, très longue et très mince, ce qui signifie que toute l’énergie était concentrée sur les pièces de surface, et c’est toujours très compliqué pour toute construction », a encore analysé Cristian Farias. « Il y a des bâtiments qui se trouvaient dans des zones où il y a carrément des failles, dans ces endroits, même le parasismique ne suffit pas », complète Patrick Colombel.
Se pose alors une nouvelle question : pourquoi les autorités ont-elles autorisé la construction dans des endroits où le risque sismique était si important ? La population demande aujourd’hui des comptes au gouvernement d’Ankara. L’association des juristes contemporains vient de porter plainte non seulement contre les responsables de la construction du bâtiment mais aussi contre le Président Recep Tayyip Erdogan.
La rédaction /Le7tv