‘Deux mots du lexique local résument le malaise de l’Algérie : hogra et haraga’’, écrit le prestigieux magazine britannique The Economist, qui dresse un tableau sombre de la situation sociale, économique, politique et des droits de l’homme dans un pays sous l’emprise d’un régime politico-militaire ‘’opaque’’.
Le premier englobe le sentiment d’humiliation et d’oppression, un déni de dignité qui conduit au second mot, de plus en plus courant, qui signifie littéralement « ceux qui brûlent », et qui s’applique au nombre croissant d’Algériens qui veulent émigrer illégalement pour avoir une vie meilleure à l’étranger, en brûlant leurs papiers d’identité, indique The Economist dans son dernier numéro.
Depuis le début de l’année, quelque 13.000 (d’Algériens) ont atteint l’Espagne sur des embarcations précaires, fait savoir la publication dans un article sous le titre « Pourquoi le régime pourri de l’Algérie a eu de la chance », notant qu’un article récent du journal Le Monde, intitulé « L’exil ou la prison », explique pourquoi les principaux défenseurs des droits de l’homme se sentent poussés à émigrer.
Les Algériens qui ont assez d’argent ou de relations pour partir légalement se dirigent souvent vers l’Europe, l’Amérique ou le Golfe. Parmi ceux qui obtiennent un visa pour étudier à l’étranger, « 90 % ne reviennent pas à la maison », affirme un homme d’affaires étranger interviewé par le magazine et qui, « comme tous les étrangers et les Algériens résidents interrogés pour cet article, a requis l’anonymat, une réflexion révélatrice de la nature du régime ».
Selon le média, trois facteurs participe à étouffer le mécontentement : Le premier est le prix élevé du gaz et du pétrole, qui représentent 90 % des recettes en devises. Le second est le contrat social qui prévoit que les produits de base de la vie sont massivement subventionnés. Le troisième est le souvenir persistant de terribles épisodes de violence nationale, notamment la « décennie noire ».
Celle-ci a commencé en 1992, lorsque le régime militaire a annulé le second tour d’une élection que les islamistes étaient en passe de remporter, provoquant une guerre civile, qui a fait entre 150.000 et 200.000, rappelle la même source.
« En dehors du gaz et du pétrole, l’économie est lamentable. La plus grande entreprise est Sonatrach, un mastodonte mal géré qui domine le secteur de l’énergie. La croissance économique a souvent été à la traîne par rapport à l’augmentation de la population, qui avoisine aujourd’hui les 45 millions d’habitants. Et la consommation intérieure croissante de gaz limite la possibilité d’en exporter davantage. Le chômage avoisine les 15%, et est bien plus élevé pour les jeunes’’, relève la publication.
Une loi adoptée en 2019 était censée ouvrir l’investissement aux étrangers, abandonnant une exigence précédente selon laquelle les entreprises algériennes, généralement gérées par l’État, doivent posséder plus de la moitié de toute société, relève le journal, notant toutefois que « les banques occidentales et le FMI, considérés avec suspicion dans les milieux officiels algériens, restent méfiants quant à l’enchevêtrement ».
Les obstacles bureaucratiques, l’incompétence flagrante et l’attitude hostile à l’égard des capitaux étrangers, notamment français et américains, dissuadent toujours les étrangers, observe l’auteur de l’article.
‘’La plupart des hommes d’affaires étrangers restent déconcertés par les nouvelles lois et leurs clauses en petits caractères. On ne sait toujours pas comment ou si les bénéfices peuvent être rapatriés’’, poursuit-il, ajoutant que « les hommes d’affaires qui ont des démêlés avec les autorités ou avec des rivaux bien placés sont souvent accusés de corruption ou d’évasion fiscale et finissent en prison ».
L’obligation pour les ministres ou les hauts fonctionnaires d’approuver pratiquement toutes les transactions, ainsi que la léthargie et l’incompétence des fonctionnaires, rendent les affaires extraordinairement difficiles, soutient-il, rapportant qu’un résident étranger estime que 40 % des demandes adressées aux organismes publics ne reçoivent jamais de réponse.
Cet environnement commercial paralysant reflète la nature de la politique algérienne. Début 2019, des manifestations pacifiques ont éclaté après qu’Abdelaziz Bouteflika, président depuis 20 ans et malade, a déclaré qu’il se présenterait pour un cinquième mandat, rappelle The Economist.
Connues sous le nom de Hirak, les manifestations, qui ont parfois attiré des foules d’un million de personnes dans les rues, ont forcé Bouteflika à se retirer, affirme-t-il, relevant que des dizaines de gros bonnets, dont le frère de Bouteflika, d’anciens chefs des services de sécurité, deux anciens premiers ministres et une série de ministres et de généraux, ont été emprisonnés.
« Mais il est vite apparu que le nouveau régime d’Abdelmadjid Tebboune, un ancien ministre de longue date sous Bouteflika, était à peu près le même que son prédécesseur », observe-t-il.
Pour The Economist, Tebboune n’a été sauvé que par l’arrivée du covid-19 en 2020, qui a provoqué l’effondrement du Hirak, et par la flambée des prix du gaz et du pétrole après le début de la guerre en Ukraine.
‘’Atteint du Covid, en 2020, le président algérien avait disparu de la circulation pendant plus d’un mois en Allemagne. Les diplomates et les hommes d’affaires soutiennent souvent que personne ne sait vraiment qui est aux commandes », rapporte l’hebdomadaire qui dresse un tableau noir de la situation des droits de l’homme dans le pays.
« La répression a de nouveau augmenté. Human Rights Watch dénombre plus de 280 prisonniers politiques, alors qu’un groupe local avance le chiffre de 320. Un important organisme de défense des droits, le Youth Action Rally, a été dissous il y a un an. Les ONG étrangères sont pratiquement interdites. Les personnalités politiques et les journalistes indépendants sont harcelés et emprisonnés’’, détaille-t-il.
Et d’ajouter que les médias officiels sont « pathétiquement flatteurs » du régime, poursuit-on, notant que ‘’la presse occidentale est considérée comme hostile, et aucun grand journal français n’a de correspondant résident ; le bureau de l’Agence France Presse a dû fermer ».
Un professeur d’histoire affirme avec un sérieux déconcertant que « les médias d’opposition et le Hirak étaient infiltrés par le Mossad, le service de renseignement israélien, et étaient souvent soudoyés par le Maroc », relève-t-on.
« Les déclarations officielles ont tendance à être imprégnées d’un mélange de vantardise et de paranoïa », estime le journal, soulignant que « les médias officiels font également preuve d’une virulence obsessionnelle à l’égard du Maroc voisin ».
Beaucoup d’Algériens, en particulier les jeunes, sont malheureux, frustrés et craignent l’autorité, affirme-t-on, précisant que « La hogra prévaut, les haragas cherchent une porte de sortie et les masses qui ont soutenu le Hirak n’ont pas disparu ».
Et de conclure que « si le prix du gaz et du pétrole devait chuter brusquement, il est difficile de voir comment ce régime opaque et pourri pourrait survivre ».
La rédaction /Le7tv