Dans un entretien accordé au Magazine BAB, le Directeur des Études, Communication et Développement à la CNSS, Reda Benamar, précise, chiffres et données à l’appui, les modalités de déploiement de cette réforme structurelle et les défis organisationnels qui en découlent :
La généralisation de la protection sociale est l’un des chantiers sociaux les plus importants des deux dernières décennies. Quelle est la place de la CNSS dans cette nouvelle architecture?
Reda Benamar: Comme vous le savez, la généralisation de la couverture sociale (AMO, retraite, allocations familiales et indemnité pour perte d’emploi) profitera à tous les citoyens, Marocains et résidant au Maroc, actifs et inactifs. Le déploiement se fera conformément à la loi-cadre 09-21. L’année en cours sera consacrée à l’intégration des travailleurs non salariés et des professions indépendantes tandis que 2022 verra la reconversion des « Ramédistes » vers l’AMO. En 2023, il sera procédé à la généralisation de l’allocation familiale à plus de 7 millions d’enfants scolarisés.
Ces allocations bénéficieront aux travailleurs non salariés qui n’y ont pas accès aujourd’hui mais aussi aux personnes démunies ou en situation de précarité. La dernière étape, qui se déroulera en 2024 et 2025, porte sur la généralisation des pensions de retraite à toute personne ayant une capacité productive, idem pour l’indemnité pour perte d’emploi. Voici donc pour le planning. Pour sa part, la CNSS est chargée de l’intégration des travailleurs non salariés, conformément aux lois 98-15 et 99-15.
Quels sont les défis qui en découlent pour la CNSS et comment compte-t-elle s’y prendre?
Reda Benamar: Nous sommes à peu près à huit millions d’assurés AMO entre assurés actifs, pensionnés, et leurs ayants-droits, ceux qui font partie des travailleurs salariés du secteur privé. En moins de six mois qui nous restent de la fin de l’année 2021, on devra intégrer à peu près trois millions et demi de travailleurs non salariés plus leurs ayants droit, donc on va se retrouver avec neuf millions d’individus supplémentaires, ce qui signifie qu’on doit doubler en moins de six mois le nombre des assurés à l’AMO. A fin 2022, la CNSS devrait inclure 22 millions de Marocains de plus. Cette variation importante nécessite l’adaptation des systèmes organisationnels et structurants de la caisse. Il en découle nombre de défis. Le premier se rapporte à l’identification, l’immatriculation et l’enregistrement de ces populations. Ce processus doit être géré avec la fluidité nécessaire.
Le deuxième défi est relatif à la gestion des flux de demande de remboursement des frais de l’assurance maladie durant les deux premières années de déploiement de la couverture médicale généralisée.
Il s’agit d’accueillir ces nouvelles populations dans de bonnes conditions et de traiter leurs dossiers avec la fluidité et la célérité requises. Pour ce faire, il nous faut 60.000 à 70.000 agents par jour au lieu de 1.000 actuellement, qui traitent chaque jour entre 20 et 25 mille dossiers.
Pour accompagner comme il se doit ce chantier, il nous faut renforcer notre présence sur le territoire à travers l’ouverture de davantage de points de contact et d’agences (nous sommes aujourd’hui à 104 agences fixes plus une cinquantaine de bureaux de liaison mis à notre disposition par les collectivités locales et les chambres de commerce et 13 unités agences mobiles). La CNSS s’est déjà inscrite dans cette dynamique en prévoyant d’ouvrir une cinquantaine de points de contact d’ici la fin de l’année, et de recruter les ressources humaines nécessaires pour cette expansion.
Quelle est votre stratégie digitale pour accompagner cette réforme?
Reda Benamar: Effectivement, pour réussir ce déploiement, nous mettons l’accent sur la dématérialisation de la relation avec les clients, actuels et futurs. Dans ce cadre, un portail (www.macnss.ma) est mis à la disposition des personnes concernées par la généralisation de la couverture sociale, via lequel elles peuvent s’immatriculer.
Nous travaillons aussi sur un projet structurant, “SI AMO”, le système d’information de l’AMO qui sera opérationnel dans les mois à venir et qui permettra de dématérialiser le parcours de soins. A partir de ce système informatique, le médecin traitant pourra générer en ligne une feuille de mutuelle et d’assurance maladie (facture) et la transmettre au malade avec l’ordonnance; Il suffit que ce dernier se présente avec un identifiant chez le pharmacien ou les prestataires de soins annexes (laboratoire, paramédical, kinésithérapie…) pour générer automatiquement la dépense correspondante et récupérer ses médicaments, ses analyses etc.
La facture finale va atterrir dans le système d’information de la CNSS et le remboursement se fera d’une manière automatique, sans besoin que l’assuré se déplace vers les points de contact. C’est un défi important nécessitera l’adhésion de l’ensemble de la profession de la santé.
A cela s’ajoute un défi de taille, à savoir revoir l’organisation de la CNSS de façon à pouvoir accueillir dans les meilleures conditions les nouvelles populations, garantir la fluidité de l’inscription et la rapidité du remboursement.
Quels sont les corps de métier qui intégreront prochainement le nouveau système?
Reda Benamar: Les travailleurs non-salariés devront être intégrés au cours de cette année. Le principe de leur intégration, selon la loi 98-15 c’est qu’elle se fait graduellement après l’adoption des décrets spécifiques pour chaque catégorie. Les premières populations qui ont intégré le régime ce sont les adouls, les huissiers de justice, les guides touristiques, tandis que les décrets relatifs aux sages-femmes, les kinésithérapeutes, les architectes et les traducteurs et copistes viennent d’être publiés. Les professions figurant sur la prochaine liste et dont les décrets sont déjà prêts sont les artistes, les médecins, les dentistes, les opticiens, les pharmaciens, le personnel paramédical, les commerçants, les artisans assujettis au régime de la Contribution professionnelle unique (CPU) et les chauffeurs de taxis.
Plusieurs autres populations, notamment dans le domaine agricole, s’ajouteront à la liste dans les semaines à venir: les producteurs de lait, les aviculteurs, les éleveurs, les notaires etc. Il y a une dynamique importante qui s’enclenche pour intégrer le maximum d’individus au cours de ce deuxième semestre de 2021 afin d’être au rendez-vous fixé par le planning initial.
Qu’en est-il des personnes non déclarées par leurs employeurs auprès de la CNSS. Seront-elles exclues?
Reda Benamar: Les travailleurs salariés du secteur privé qui ne sont pas aujourd’hui déclarés se doivent d’être couverts. Pour ce faire, il y a un dispositif prévu par la loi de 1972 instituant le régime de sécurité sociale qui permet de lutter contre ce qu’on appelle “l’évasion sociale”. A ce niveau, les inspecteurs et contrôleurs de la CNSS mais aussi les inspecteurs de travail sont appelés à redoubler d’efforts pour convaincre ces employeurs récalcitrants. Le projet de généralisation de la couverture sociale va faciliter la tâche dans la mesure où il va permettre d’identifier assez facilement les travailleurs salariés qui ne sont pas déclarés.
Concrètement, comment ces personnes seront-elles reconnues?
Reda Benamar: Dans le futur système, les citoyens seront répartis en des catégories bien définies: soit ce sont des travailleurs salariés couverts par l’assurance maladie obligatoire, soit ce sont des salariés du secteur privé, soit des travailleurs non salariés, soit des personnes démunies. Si une personne ne figure pas dans l’une de ces cases, elle sera facilement identifiée.
Les systèmes de rapprochement et de recoupement des données permettront de reconnaître toutes les personnes non assurées ainsi que celles non déclarées par leurs employeurs. Par ailleurs, il est prévu dans le cadre d’une réforme juridique de renforcer le rôle de contrôle de la CNSS vis-à-vis des employeurs qui ne procèdent pas à la déclaration régulière de leurs employés, tous secteurs confondus. En principe, tout le monde devrait être déclaré à la CNSS.
En ce qui concerne les indépendants, comment déterminer le revenu forfaitaire sur la base duquel les cotisations seront calculées?
Reda Benamar: Il existe deux textes de loi qui s’appliquent en la matière: la loi organique n° 98-15 du 23 juin 2017 relative au régime de l’assurance maladie obligatoire de base pour les catégories des professionnels, des travailleurs indépendants et des personnes non salariées exerçant une activité libérale, et la loi n° 99-15 du 5 décembre 2017 instituant un régime de pensions pour les catégories précitées.
Ces lois stipulent que “tout adhérent doit verser régulièrement à la CNSS des cotisations dues dans les délais fixés pour chaque catégorie, sous-catégorie ou groupe de catégorie” et que “la cotisation au titre du régime de pensions, due par chaque adhérent, est déterminée sur la base du revenu forfaitaire applicable”. Ces forfaits, ce n’est pas à la CNSS de les fixer, mais c’est plutôt la capacité contributive d’un corps de métier homogène qui les détermine.
La rédaction /Le7tv Magazine BAB/ propos recueillis par Meriem Rkiouak (MAP)