De son nom Abdullah Ibn Al Muqaffa (عبد الله إبن المقفع) (756-720). À cheval entre les dynasties des Omeyyades et des Abbassides, Ibn al Muqaffa aura été l’un des auteurs littéraires les plus importants de sa génération. Persan et arabophone accomplit, il entamera sa carrière de grand secrétaire auprès des Califes, à l’âge de 21 ans, après s’être converti à l’islam…
Dans les faits, Ibn al Muqaffa est l’un des premiers précurseur d’« Al Adab الأدب » : Nouveau style d’écriture prosaïque d’une beauté littéraire inouïe… Traducteur d’œuvres persanes et indiennes, il est celui qui introduit en arabe les fables de Bidpaï, renommées à l’occasion par « Le Livre de Kalila Wa Dimna كتاب كليلة ودمنة », œuvre majeure, aujourd’hui disponible dans presque toutes les langues, et c’est elle qui a inspiré les « Fables de La Fontaine »…
Mais Ibn Al Muqaffa a été surtout un humaniste auteur d’essais sur le réformisme politique, social et administratif de la dynastie Abbasside…
Ibn Al Muqaffa, dont la conversion à l’islam a été mise en doute par certains orthodoxes religieux complotistes et envieux, avait franchi un pas certain et dangereux en proposant au Calife, de créer un ensemble de lois, non-musulmanes, applicables dans tout l’État islamique…
S’inspirant des systèmes politiques et administratifs persans, Ibn al Muqaffa signifiait ainsi aux autorités le supposé décalage entre la pensée islamique archaïque et les nouveaux besoins socio-culturels de d’un État moderne…
Pour Ibn Al Muqaffa, il fallait LAÏCISER les institutions pour soutenir le progrès de la nation, accroitre l’émancipation des citoyens, et pour privilégier LA RAISON contre le dogmatisme…
Si cette affaire avait déjà agacé bien des religieux conservateurs rétrogrades, une autre affaire allait attiser cette fois la colère du Calife Abbasside, le très célèbre Al Mansour: Chargé de rédiger l’acte d’amnistie en faveur d’Abdallah ibn Ali, le propre oncle du Calife contre qui il s’était rebellé, Ibn Al Muqaffa, aurait mis tant de zèle à vouloir sauver l’intéressé qu’il aurait contraint le Calife à respecter des engagements intenables : Il alla jusqu’à écrire sur papier que si le Calife tuait son propre oncle, il courrait le risque : “…de ne plus être obéi par ses sujets, que ses femmes pourraient être considérées comme divorcées et ses esclaves affranchis”….
Pris de colère, et sous l’influence des religieux, Al Mansour ordonna à Soufyane ibn Mouawiya, gouverneur de Basra, de faire tuer l’auteur Ibn Al Muqaffa de la pire des manières…
Arrêté et exécuté, ses membres furent alors tranchés avant d’être jetés dans un four brûlant…L’audace d’Ibn Al Muqaffa, ainsi que son désir, précoce, de voir « La séparation de la Mosquée et de l’État » s’officialiser en terre musulmane, avaient eu raison de lui…il mourut à seulement 35 ans…
L’exemple malheureux d’Ibn Al Muqaffa, nous montre que c’est dans cet acharnement ancestral contre la Raison, la Diversité et le Progrès, que réside l’handicap socio-politico-culturel dans lequel s’est noyé le monde arabo-musulman…
Sans notre réconciliation avec notre patrimoine culturel et universel de Rationalité et d’Émancipation: Le fanatique et l’extrémiste prendront toujours le dessus par rapport à la critique et la tolérance, L’Obscurantiste vaincra le Philosophe, le charlatan battra le scientifique et l’hypocrisie générale de la société voilera les Lumières du Savoir…À suivre.
Abderrazzak Boussaid/Le7tv